ANCORIM … Sous cet acronyme aux consonances à la fois maritimes et anglo-portugaises se cachent deux ans de travaux conduits par les scientifiques et les aménageurs du littoral de 7 régions européennes de la côte atlantique. L’enjeu de ces travaux ? Proposer aux aménageurs des outils d’aide à la décision pour la gestion des risques côtiers.

Alors même que le principe des pollueurs payeurs est menacé dans le procès de l’Erika, Renaud Lagrave, vice-président de la Région Aquitaine en charge du tourisme appelait, en introduction de la conférence du 12 avril, à une mobilisation sans faille de l’Union Européenne dans l’hypothèse où la position de la Cour de cassation française aurait pour conséquence de « blanchir » le pétrolier Total.

  • Les côtes vues de Bruxelles : le cadre institutionnel
    ANCORIM (pour Atlantic Network for Coastal Risk Management) est né de la volonté de coopération manifestée par plusieurs régions européennes ayant en commun une côte atlantique, rappelle son pilote, Florence Bouteau (la région Aquitaine préside le projet). C’est un projet structurant issu d’un groupe de travail ad hoc sur l’environnement et la gestion intégrée des zones côtières. Groupe de travail lui-même mis en place par la Commission Arc Atlantique qui regroupe 21 régions d’Europe occidentale (de l’Andalousie à l’Ecosse, soit 12 % de la population européenne pour un total de 60 millions d’habitants). La Commission Arc Atlantique est l’une des six commissions géographiques de l’Union Européenne. Depuis 1989, elle défend les intérêts des Etats membres auprès de l’U.E., des autres Etats, et cherche à promouvoir la coopération au sein de groupes de travail réunissant les régions ainsi que d’autres acteurs (villes, universités…)

Après une présentation en règle de l’arsenal institutionnel mis en place et des objectifs poursuivis au plan européen par Jeroen Caesar (en charge de la gestion intégrée des zones côtières au sein de la Direction Générale Environnement de la Commission Européenne), Pauline Caumont, Secrétaire exécutive de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM), a expliqué le rôle de cette « agence d’idées pour l’Europe », qui regroupe 28 Etats membres, 160 régions et 200 millions d’habitants. La CRPM, créée en 1973, est elle-même divisée en 6 commissions géographiques, dont la Commission Arc Atlantique, citée précédemment. La CRPM défendra des principes de cohérence territoriale, d’implication régionale et de simplicité des procédures dans l’élaboration des directives européennes pour la période 2014-2018. Un document de positionnement politique a été adopté le 5 mars dernier concernant les thèmes du transport et de l’accessibilité côtiers, l’économie et l’industrie maritime, le climat et l’environnement, la recherche et l’innovation, l’attractivité des territoires.

Pourquoi l’Union européenne a-t-elle besoin d’une gestion coordonnée de ses zones côtières ?
La réponse à cette question a été étayée de nombreux exemples dans la présentation de J. Caesar. Avec pas moins de 17 millions d’Européens qui se partagent la zone côtière située à l’ouest de l’Europe, celle-ci est fortement impactée par l’utilisation des ressources marines, l’agriculture, l’habitat, le tourisme… Autant d’activités qui sont source de problèmes spécifiques : revendications conflictuelles des zones de pêche, usage déséquilibré des espaces côtiers ou maritimes, potentiel économique inégalement valorisé, protection insuffisante contre les aléas climatiques, dégradation des milieux marins…

La politique de gestion intégrée des zones côtières a donc pour objectif essentiel de promouvoir des outils permettant une gestion et une utilisation durable des ressources existantes. Elle repose sur des principes généraux (8 principes clés) définis dans le cadre juridique de l’Union Européenne. Elle propose une approche stratégique de la gestion de la zone côtière et la mise en place d’un développement durable. Celui-ci passe par la prise en compte des changements climatiques qui sont attendus dans les 3 prochaines décennies. Les opportunités économiques doivent pouvoir être saisies sans que le patrimoine culturel ne soit sacrifié pour autant.
La coopération entre pays et régions côtières voisines est capitale. Concrètement, elle peut s’appuyer sur des outils juridiques tels que des mécanismes de coordination institutionnelle et des outils techniques comme les bases de données. L’information des acteurs et la communication sont également des éléments essentiels. La planification de l’utilisation de l’espace maritime (MSP) vise à l’organisation et la régulation de l’utilisation de la mer par l’homme, tout en protégeant les écosystèmes marins. En clair il s’agit de mieux comprendre qui fait quoi, où, quand et pourquoi dans le but de promouvoir une utilisation harmonieuse et raisonnée des ressources. A l’instar de ce qui a été réalisé en Mer Baltique, on pourra envisager sereinement une augmentation de 8,5 % du trafic côtier, la multiplication par 25 du potentiel éolien offshore, le développement de l’aquaculture, tout en évitant les conflits d’usage. Cette planification est du ressort de chaque Etat membre de l’Union mais la Commission européenne souhaite jouer un rôle de coordination et réguler sans imposer.

Ainsi les objectifs de la Politique Maritime Intégrée de l’UE (IMP) visent-ils à définir une approche cohérente des problèmes spécifiques à la mer et à améliorer la coordination des différentes actions entreprises : partage de données dans le cadre de « Connaissance marine 2020 » ; surveillance intégrée de l’espace maritime ; planification de l’utilisation de l’espace maritime (MSP) ; « Croissance bleue » qui est une stratégie à long terme de soutien de la croissance du secteur maritime ; stratégies de bassins maritimes régionaux (Mer Baltique, Mer Noire, Mer Méditerranée, Mer du Nord, Océans Atlantique et Arctique).

* L’Aquitaine en pointe sur la préservation du littoral
A l’inverse de la plupart des autres régions, l’Aquitaine se distingue par la prédominance de la côte « sauvage » (2/3 du littoral) sur la côte « aménagée » (1/3). Elle bénéficie d’un réseau global de surveillance, l’Observatoire de la Côte Aquitaine, et le GIP Littoral, groupement d’intérêt public qui rassemble l’Etat, la Région et 3 territoires et qui reflète une volonté affirmée de décentralisation. Les travaux qui ont été conduits sur la question de l’érosion côtière sous l’égide de la Région sont une première en France. Ils ont notamment mis en lumière l’inégalité des informations disponibles en fonction des territoires. Renaud Lagrave souhaite que ces résultats soient largement diffusés et vulgarisés pour pouvoir être utilisés par tous ceux qui s’intéressent à la gestion du littoral.

Deux axes majeurs de la politique régionale concernent d’une part l’implication de la population concernée par l’aménagement et les risques côtiers, d’autre part l’insertion des dossiers régionaux dans un contexte européen afin de favoriser la concertation, et d’obtenir des aides institutionnelles et financières, tout particulièrement en matière de lutte contre la pollution.

* Les outils d’aide à la décision proposés dans le cadre d’ANCORIM
Dans son ouverture de cette première session de restitution, François Desrentes, membre du Team Europe, a invité les intervenants à ne pas se limiter à une approche de gestion des risques mais aussi à aborder des questions plus transverses telles que le maintien de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique, « à dépasser les approches techniques pour envisager une démarche plus politique et stratégique dans le but de faire évoluer notre conception de la protection des côtes et de promouvoir un nouveau modèle de développement ».

Il a également rappelé que la préoccupation immédiate des investisseurs était de disposer de certitudes juridiques et que celles-ci ne pouvaient résulter que d’une large concertation des acteurs, ce qui met clairement en évidence le problème du temps. Il a enfin insisté sur l’importance de diffuser et de valoriser les résultats de projets tels qu’ANCORIM afin qu’ils ne viennent pas simplement s’ajouter à la collection de « trésors cachés » qui dorment dans les placards des ministères.

* Méthodologie et résultats du projet ANCORIM
Florence Bouteau, responsable du projet, a rappelé qu’un risque côtier résultait de la rencontre d’un aléa et d’un enjeu et que le changement climatique était un facteur d’aggravation des risques.

Déroulement des travaux
Face à l’importante quantité des données et des études existant sur le sujet, les partenaires du projet se sont d’abord livrés à un important travail d’inventaire, constatant que l’information n’était pas disponible sous une forme utilisable par les décideurs. Une nouvelle fois a été mise en lumière la nécessité d’une meilleure collaboration entre scientifiques et décideurs. La tâche suivante a donc consisté à mieux organiser l’existant pour renforcer la capacité opérationnelle des décideurs et des aménageurs notamment sur des questions telles que la stabilisation du trait de côte et la qualité des eaux côtières. Le programme ANCORIM a reçu 1,9 million d’euros sur 3 ans, provenant à 65 % de l’Union Européenne. Il a réuni 19 partenaires, dont 4 associés (participation technique sans contribution budgétaire). Le noyau dur de 15 partenaires était constitué de structures issues de 4 pays (Irlande, France, Espagne, Portugal). Le travail a été organisé en binôme réunissant à chaque fois un représentant de la communauté scientifique et un représentant des décideurs/aménageurs.

L’échange d’expériences était un préalable au développement opérationnel qui a consisté à développer des outils : un inventaire des ressources scientifiques et un annuaire des acteurs ont été produits. Des enquêtes régionales de besoin ont été conduites, des besoins identifiés et un site web élaboré. La capacité opérationnelle fournie par ANCORIM s’appuie aujourd’hui sur des études de cas, des outils didactiques (un kit d’information et de sensibilisation sur les risques côtiers a été mis au point et a pu être distribué en séance aux participants) et des actions de communication, et des études de cas (WP4 : érosion, WP5 : qualité de l’eau). Une préoccupation permanente des acteurs du projet a été de relier le niveau local au niveau européen, tout en connectant tous les échelons. En Aquitaine, ils ont pu s’appuyer sur le GIP Littoral et l’Observatoire de la Côte Aquitaine dont font partie le BRGM et l’ONF.

Outils d’information et de sensibilisation
Le kit d’information et de sensibilisation a été présenté par l’intervenante espagnole Paula Cabado, de la Députation provinciale d’ A Coruna. Il comprend un document général de 40 pages « Risques côtiers : mieux les comprendre pour mieux y faire face », un guide scolaire, un guide d’utilisation, un document destiné aux aménageurs « Prise de décision et risques côtiers : guide de bonnes pratiques », une publication technique « Panorama des solutions douces de protection des côtes », un glossaire et un fascicule de présentation synthétique du programme ANCORIM. Les guides ont été diffusés dans toutes les régions concernées. Une présentation dans les écoles et à d’autres publics est envisagée.

La publication technique intitulée « Panorama des solutions douces de protection des côtes » a été présenté par Cyril Mallet du BRGM. Le document « Prise de décision et risques côtiers : guide de bonnes pratiques » a été présenté par Ian Douglas, représentant irlandais du Conseil du Comté de Mayo. Enfin, Isabelle Dévé, administratrice du site Web au niveau de la Région Aquitaine, s’est chargée de la présentation de cet outil. http://ancorim.aquitaine.fr/spip.php?lang=fr

L’après-midi, consacrée aux études de cas, fera, le cas échéant, l’objet d’une suite à cet article !